En cette fin du mois de novembre, nous savions que le grand moment approchait: l'envoi par cargo de Road Runner vers l'Amérique du sud. Cette étape peut sembler futile à première vue mais elle constituait l'essentiel de notre voyage: traverser vers le continent qu'on s'était promis de traverser ensemble deux ans et demi plus tôt. De plus, cette traversée ne se fait pas aussi facilement que passer du centre-ville de Lévis à celui de Québec par traversier... Plusieurs étapes administratives s'étalant sur plusieurs jours sont nécessaires pour traverser d'un continent à l'autre. Malgré la courte distante terrestre qui sépare les routes du Panama et de l'Amérique centrale à celles de la Colombie et de l'Amérique du sud (environ 80 kilomètres), cet isthme, surnommé The Darien Gap ne peut être traversé avec un véhicule. Aucune route praticable ne relie les deux pays, séparés par une jungle très dense et gouvernée par des cartels de drogue qui n'ont pas eu le choix de s'y réfugier depuis que le gouvernement colombien a commencé à faire la guerre aux associations des FARC et des autres producteurs et distributeurs de cocaïne. Malgré les efforts du gouvernement et même si la situation politique du pays s'est grandement améliorée, la Colombie demeure aujourd'hui le premier exportateur de cocaïne dans le monde, et c'est essentiellement par cette région que la drogue remonte en Amérique centrale et, éventuellement, en Amérique du Nord.


La première étape de la traversée était de trouver d'autres voyageurs qui, comme nous, voulaient traverser en Amérique du sud avec leur véhicule. Cette étape est importante car le prix du container étant très élevé, le partager avec d'autres personnes en réduit le coût de moitié. C'est ainsi que nous avons entré en communication avec Lane et Patti, un couple d'Américains dans la cinquantaine de l'Arkansas, qui ont décidé de quitter leur pays pour la grande aventure eux aussi. Après avoir choisi une date avec eux, nous étions prêts à se rendre au Panama. Notre première nuit dans ce pays s'est fait à mi-chemin entre la frontière et la ville de Panama City, où nous avons eu la chance de dormir dans un camp de vacances chrétiens gratuitement, à l'abri, avec des douches et même de l'électricité. Ça nous a permis de se reposer un peu avant d'entamer les lourdes démarches administratives qui nous attendaient.



En arrivant à Panama, nous avons été frappés par la quantité de gratte-ciels et de bâtiments qui semblaient pousser partout dans la ville. On se croyait vraiment à Miami ou dans une autre grande ville américaine! Pour une ville qui n'atteint même pas le million d'habitants, nous avions de la misère à croire nos yeux, émerveillés par les colonnes de bétons et de ciment s'élevant partout autour de nous. La ville semblait être faite pour abriter 4 millions d'individus! La première journée, nous avons rencontré Antonio, un jeune homme super amical, chez qui nous avons eu la chance de rester pour une semaine, un peu à l'écart du centre-ville. Avec lui, nous avons entre autres été dans un broue-pub au centre-ville, cuisiné de la poutine et goûté aux déjeuners traditionnels du pays et nous avons parlé et découvert les réalités du Panama.


Historiquement, le Panama est un pays assez récent qui appartenait jadis à la ''Grande-Colombie''. En 1903, les États-Unis ont financé une guerre d'indépendance contre la Colombie pour que le Panama devienne un pays distinct. Évidemment, les Américains avaient quelque chose à gagner dans cette histoire-là. Ce n'est que quelques années plus tard qu'un des plus grands projets d'échanges commerciaux du monde a vu le jour: la construction du fameux canal de Panama. Grâce à cette ouverture au beau milieu des Amériques, les bateaux en provenance d'Asie pouvaient maintenant atteindre la côte est américaine et l'Europe occidentale beaucoup plus rapidement et vice versa. Ce projet, malgré son coût faramineux pour l'époque, rapporta des profits inestimables au pays et, encore aujourd'hui, il reste une, voire la principale plaque tournante de l'économie du commerce international. Avec le temps, le Panama est devenu en quelque sorte une ''extension des États-Unis'' et un paradis fiscal pour tous les multimillionaires américains qui y blanchissent leur argent. Voilà donc l'explication des centaines de gratte-ciels qui, malgré leur apparence de richesse, sont quasi-inhabités. Des grands buildings vides et des bidons-villes les ceinturant de toute part habités par la majorité de la population, voilà la vraie face du Panama. Nous avons même fait l'analogie de cette ville en la comparant au Capitole dans les Hunger Games.



Au cours de notre séjour au Panama, nous avons du faire inspecter le camion par un centre de sécurité avant de l'apporter au port pour le mettre dans le container qui allait l'apporter jusqu'en Colombie. Une bonne journée de paperasse et d'attente s'est résumée plutôt positivement: Road Runner était fin prêt à se rendre à Colón. Une fois arrivés là-bas, le jour suivant, nous avons retrouvé Lane et Patti et avons débuté le chargement des véhicules à l'intérieur du containeur. Une bonne journée de travail nous permit finalement d'apposer le cadenas qu'on allait couper une fois rendu de l'autre côté du Darien Gap. Après avoir payé les quelques 350$ US (qui constituaient seulement une infime partie du montant total à payer), nous avons pu retourner à Panama, prêts à prendre notre avion pour Cartagena le soir même.



Une fois rendus en Colombie, nous avons eu la mauvaise surprise de devoir payer une taxe spéciale d'environ 80$ seulement pour les Canadiens, puisqu'il y a plusieurs années, notre gouvernement faisait payer les Colombiens une taxe d'entrée eux-aussi. On est un peu choqués, surtout après tout ce que nous avons déjà du payer mais ça fait partie du voyage! Comme il fait déjà nuit, nous dirigeons chez Angie, une fille super chouette qui nous accueillit chez elle pour quelques jours, avant que nous puissions récupérer notre camion (parce que le chargement des containeurs, la traversée en bateau et le déchargement prennent beaucoup plus de temps que notre voyage d'avions d'à peine 1h30!). Nous avons le plaisir d'aller à la plage, de découvrir le centre historique de Cartagena, qui ressemble conceptuellement au centre-ville de la ville de Québec (centre emmuré faisant partie du patrimoine mondial de l'UNESCO et port d'entrée principal du continent surveillé par une forteresse) et nous pouvons surtout relaxer un peu. Nous passons du bon temps malgré la chaleur accablante de la région qui nous fait suer constamment... à part une journée de pluie diluvienne qui ne nous empêcha pas de se promener encore en ville. Nous devons simplement retarder notre évasion de la ville pour découvrir un peu plus les environs.



Après ces quelques jours de répits, c'est le temps de rembarquer dans la paperasse administrative: il faut sortir Road Runner du container qui est arrivé au port de la ville. Nous recevons un message se résumant par 21 étapes qu'il faut suivre à la lettre. Malgré la longueur des procédures, nous partons vers le port avec le sourire aux lèvres et commençons les démarches, en compagnie de Lane et de Patti qui reviennent d'une croisière dans les caraïbes. C'est à ce moment que nous avons vu les complications qu'impliquaient le fait qu'on soit deux propriétaires sur le véhicule. Il n'y avait qu'un seul d'entre nous qui pouvait faire les démarches pour récupérer Road Runner, pendant que l'autre pouvait se la couler douce. Alex débuta, puisque c'était son nom qui était inscrit sur le bill of lading provenant du chargement du camion au Panama. Après les cinq premières étapes, ce qui correspondait environ à un avant-midi de démarches, Fred a dû prendre la relève et recommencer tout ce qui avait été fait puisque c'était son nom qui était inscrit sur le bill of lading du côté colombien. À la fin de cette première journée, une dizaine d'étapes sur les 21 étaient réussies, mais nous devions attendre notre rendez-vous avec l'inspecteur de l'Aduana colombienne pour une inspection du véhicule, ce qui était prévu seulement le lendemain matin.


Fort d'une bonne nuit de sommeil, nous étions décidé à reprendre Road Runner cette journée-là, peu importe la quantité de sueur qui allait couler sur notre front (dans les démarches, ils nous conseillaient d'apporter du linge de rechange...). L'inspecteur arriva 1h plus tard que prévu, mais on s'y en attendait déjà. Les latinos n'ont certainement pas la même définition de la ponctualité que nous. On sortit le Road Runner du container vers 11h, mais on ne peut pas encore s'enfuir. On doit récupérer le bill of lading final et céduler un autre rendez-vous avec l'inspecteur. Midi, tout le monde est en break, on n'a pas encore notre dernier rendez-vous de céduler, ça va aller a 13h. On doit finalement attendre jusqu'à 14h30 pour que l'inspecteur nous remettre nos clefs et qu'on puisse partir. Après une journée et demi de démarche, on ne peut être plus heureux de retrouver Road Runner et de reprendre la route.



Dès que nous avons enfin Road Runner entre nos mains, nous quittions la ville de Cartagena pour se diriger vers les montagnes de la Sierra Nevada, près de Santa Marta, où nous avons convenus de faire une randonnée de trois jours après avoir vu le prix d'entrée faramineux du Parc national de Tayrona, situé à proximité et que nous étions supposé de visiter. Après une nuit à la plage à mi-chemin et une autre dans un petit village dans la montagne que nous nous apprêtons à escalader, nous paquetons nos sacs de randonnée et nous dirigions vers le sommet du Cerro Kennedy. 3 jours et 2 nuits nous mènent à une vue époustouflante de la Sierra Nevada qui était considérés par les Indigènes des montagnes par El Corazon del mundo (le coeur du Monde). C'est facile de comprendre leur allusion quand on observe le paysage, dans une fraîcheur alpine beaucoup plus agréable que la chaleur humide des côtes. Un bref tour au sommet et une nuitée à près de 2600 mètres d'altitude ont précédés la descente de la montagne que nous avons effectué en une seule journée. En mangeant au minimum et en marchant quelques 60 kilomètres au total, nous avons profité de cet endroit merveilleux, mais nous nous sommes épuisés un peu physiquement. Revenant dans le petit village de Minca pour une dernière nuit dans cet endroit fantastique, nous décidons d'explorer un peu les environs et visitons une petite boutique de produits naturels... à base de marijuana. Nous sommes fatigués par notre expédition et nous avons ainsi beaucoup de plaisir à écouter le propriétaire de la boutique nous parler avec passion des bienfaits de ses produits tout en nous les faisant essayer. Finalement, après une dernière nuit venteuse à la même plage où nous avons couché quelques jours plus tôt, nous revenons à Cartagena pour une dernière nuit avant que la blonde de Fred, Chanèle, vienne nous rejoindre pour découvrir le centre de la Colombie avec nous.